Martin 000-18 pre-war de 1937, en état d’origine, de conservation et de restauration absolument remarquable.
Nous sommes habitués à voir passer de grandes guitares à la galerie, et pourtant il nous arrive d’être de temps en temps d’être particulièrement transportés par l’instrument entre nos mains. C’est le cas de cette 000-18, une guitare absolument mythique pour la place qu’elle occupe dans l’histoire de la guitare Martin, de la guitare américaine, et de la lutherie en général. À plus forte raison ici, puisque le modèle en question arrive tout droit des années 30, considérées sans équivoque comme l’Âge d’or de la production de guitares à cordes acier à Nazareth – si l’on voulait dresser une équivalence, on pourrait dire que cela correspond à la période 1957-1961 chez Gibson, l’apogée de leur production de guitares électriques avec des modèles iconiques comme la Les Paul Standard “Burst” ou la ES-335 équipées de micros PAF, en somme les années radicalement essentielles qui ont fondé toute la postérité pour les instruments du genre. Aujourd’hui, aucune guitare flat-top ne saurait exister sans les innovations instituées par Martin dans cette décennie fatidique.
Le constructeur de Nazareth avait alors récemment introduit un nouveau genre de construction pour ses modèles flat-top, dont la visée était entre autres de détrôner le banjo comme instrument populaire de premier plan. Pour cela, il fallait évidemment adapter la guitare aux attentes des joueurs de banjo : un manche plus long, plus fin, permettant l’accès aux notes les plus aigues, et surtout un instrument sur lequel il était possible de monter des cordes en acier au lieu des cordes en boyau utilisées traditionnellement pendant des siècles – en définitive, un instrument alliant la jouabilité du banjo avec la sonorité bien plus consensuelle de la guitare.
Le résultat prend forme à partir de 1929 avec l’apparition de guitares dites Orchestra Model (OM), revues suivant les besoins spécifiques de musiciens jouant dans les dance bands, dans les théâtres vaudeville et autres ensembles en vogue, dont le nombre ne cessait de croitre devant le gain en popularité de ces genres musicaux au cours des années 10 et 20. À leur introduction, Martin produit de façon simultanée les modèles 000 à 12 cases hors-caisse et OM à 14 cases, dont le gabarit est par ailleurs largement identique ; or, devant le succès du nouveau modèle à 14 cases, la construction archaïque à 12 cases est rapidement abandonnée, si bien qu’à la moitié des années 30 le catalogue ne fait plus mention que du modèle 000 qui englobe toutes les caractéristiques du modèle OM. Il est intéressant de noter par ailleurs que l’introduction des Martin OM à la fin des années 20 est concomitante avec le déclin brutal des formes de divertissement populaires qui avaient généré leur demande, suite au krach boursier de 1929. Afin de réduire leurs coûts, de nombreux propriétaires de théâtres et music halls équipent leurs établissement de systèmes de sonorisation et remplaceront les numéros live par des projections (une tendance déjà existante depuis les années 1910 mais que la période de la Dépression portera à son paroxysme) et de nombreux entertainers se retrouvèrent sur la paille.
Les guitares trouveront néanmoins une continuité solide dans le cinéma et la radio en voie de démocratisation : notamment, un genre populaire à l’époque mettait en scène des personnages dits singing cowboys, une sorte de héros américain archétypal – chapeau vissé sur la tête, rasé de près, guitare à la main, relatant en chanson des scènes idéalisées de la conquête de l’Ouest et de la vie quotidienne sur le front pionnier. Parmi les grands noms apparaissant dans ces productions, on retrouve entre autres Roy Rogers, Gene Autry, ou des groupes tel que les Sons of the Pioneers. Nombre de ces artistes font le choix d’une guitare Martin, qui était quasiment le seul fabricant à l’époque à même de répondre à leur demande en quantité pour des instruments de qualité, à l’exception peut-être de son principal concurrent Gibson (bien que celui-ci ait été encore largement à la traîne dans la production de guitares flat-top professionnelles, malgré l’introduction des modèles Jumbo au début des années 30) et de certaines manufactures de Chicago.
Dans ce contexte, la Martin 000-18 coche toutes les cases : un instrument léger au format modeste, avec une bonne projection et un parfait équilibre entre graves et aigus – en somme, l’outil idéal pour de longues sessions dans les studios et sur scène, assez polyvalent pour s’adapter à n’importe quel contexte de jeu. Par ailleurs, le prix d’une 000-18 dans la seconde moitié des années 30 était relativement raisonnable comparé à celui d’autres modèles professionnels : 55 dollars, soit 10 de moins qu’une D-18 et 120 de moins qu’une luxueuse 000-45 ! 55 dollars représentaient tout de même une somme considérable pour un musicien professionnel – environ 1250 dollars en 2025, ajusté pour l’inflation – et on comprend que beaucoup aient fait le choix de la 000-18 plutôt que d’autres options plus onéreuses encore. Ainsi, la 000-18 compte parmi les modèles les plus produits dans les années d’avant-guerre, à raison de plusieurs centaines d’exemplaires par an (exactement 303 pour l’année 1937) – ce qui est particulièrement rare en revanche, c’est d’en trouver un exemplaire aussi bien conservé et peu joué, puisque la plupart auront bourlingué à travers les États-Unis et le monde, portant pour beaucoup les stigmates d’années d’usage.
Le modèle présenté ici, au contraire, semble quasiment sorti la veille de l’atelier de Nazareth : à l’exception de légères traces de jeu notamment sur la partie supérieure de la table d’harmonie, elle demeure absolument immaculée et dépourvue de défauts ou de cassures. On relève l’ensemble des caractéristiques tant recherchée dans les modèles pre-war, universellement plébiscitées par toutes les générations de guitaristes : la table d’harmonie en épicéa des Adirondacks avec un barrage allégé (scalloped bracing en anglais, désignant la technique employée pour réduire l’épaisseur des barres d’harmonie en sculptant leur crête) et avancé (le centre du X est placé plus proche de la rosace, à environ 1 pouce tandis qu’après octobre 1938 il sera reculé d’un demi-pouce, vraisemblablement pour accroitre la résistance de la table face à la tension des cordes en acier) ; la bridge plate, plaque de renfort collée sous la table au niveau du chevalet, consiste en une petite pièce d’érable – originale et intacte ; le manche, le fond et éles éclisses sont construits en acajou de première qualité ; cette 000-18 de 1937 est également dotée d’une touche et d’un chevalet en ébène ainsi que d’un renfort de manche en acier en forme de « T », caractéristiques qui seront toutes modifiées quelques années plus tard ; on retrouve enfin les mécaniques Grover Sta-Tite originales, parfaitement fonctionnelles à ce jour. En somme, cette guitare est un parfait exemple de ce qui rend ces Martin d’avant 1939 si recherchées par les connaisseurs : le son est à la fois précis et généreux, une combinaison inégalée de clarté et de profondeur.
L’état cosmétique de la guitare étant irréprochable, nous nous sommes concentrés sur la restauration de sa pleine jouabilité : nous avons effectué un neck-reset avec le plus grand des soins, afin de réajuster l’angle de renversement du manche par rapport à la caisse et ainsi retrouver une géométrie idéale pour le reste du réglage de l’instrument ; nous avons par la suite procédé au refrettage complet et à la confection d’un nouveau jeu de sillets en copie de l’original ; enfin, après un ajustement complet de l’action et de l’intonation, la guitare est désormais jouable comme à son premier jour – tout en paraissant ne jamais avoir été touchée.
Pour compléter ce lot d’exception, cette 000-18 est vendue dans son étui Harptone “Bull’s Head” original. Une perle rare comme nous n’en reverrons probablement pas de sitôt !