Gibson L-5 Master Guitar de 1927, en excellent état.
Nous marquons en cette année 2024 le centenaire du modèle L-5, guitare absolument centrale et emblématique dans le panthéon de la lutherie américaine du XXe siècle, et qui plus est d’une importance historique déterminante pour l’évolution de ces instruments – et nous sommes particulièrement comblés à cette occasion de pouvoir proposer à la vente un si bel exemplaire. Les premières L-5 avaient été à l’origine conçues pour compléter l’orchestre de mandolines tel que l’avait envisagé Orville Gibson dès le début du 20e siècle, avant de devenir avec leurs nombreuses émules les premières guitares de « jazz » et la véritable force motrice des sections rythmiques des big band de la décennie suivante, continuant à dominer jusqu’à nos jours ce genre musical. De plus, au moment de son introduction, la L-5 constituait un véritable tournant dans la lutherie des guitares puisqu’elle est la première archtop moderne associant des ouïes semblables à celles d’un violon, un manche à 14 cases hors-caisse et une touche surélevée. Au moment où le modèle présenté a été construit, il prend sa place au sommet du haut de gamme de Gibson et n’avait alors pas de concurrence sérieuse. D’autres fabricants se lanceraient bientôt sur cette même voie (citons entre autres D’Angelico ou encore Stromberg), mais toujours à partir du mètre-étalon que constitue la L-5 originale.
Soulignons à quel point la L-5 « Master Guitar » des années 1920 est aujourd’hui une guitare extrêmement rare : tout d’abord, son prix neuf de 275,00 $, exorbitant pour la période, a sans doute posé de sérieuses limites à sa dispersion initiale (en comparaison, une Martin 000-45 en bois exotiques d’exception et entièrement ornée de nacre coûtait 105,00 $ de moins à la même époque). En plus de leur coût prohibitif, il n’y avait pratiquement pas de reflexion de marché pour de tels instruments : au début des années 20, Lewis A. Williams, directeur général excentrique de The Gibson, défendait encore obstinément une position selon laquelle le passé, le présent et l’avenir de Gibson se devait d’être centré autour de la seule mandoline, donnant relativement peu de crédit au développement et à la promotion des autres instruments qu’étaient les banjos et les guitares et accusant l’engouement nouveau des Américains pour le jazz et la musique hawaïenne d’entacher la popularité de la mandoline. Son pari se révèlerait vite perdant, puisque ces deux genres musicaux domineraient de façon durable le paysage musical des décennies suivantes, reléguant la mandoline aux groupes de bluegrass et donnant aux grands orchestres de mandoline qui posaient jadis fièrement sur les brochures promotionnelles de Gibson un air sympathiquement folklorique. Les choses étaient ainsi assez mal engagés pour la guitare fabriquée à Kalamazoo, d’autant plus que Gibson remplira vite son catalogue de banjos de qualité professionnelle si bien qu’à l’apogée de la première ère du jazz vers 1928, le banjo était devenu l’instrument généralement admis au rôle rythmique dans les orchestres. Quid donc de la L-5 ? De fait, il y avait très peu de musiciens professionnels vers la moitié des années 20 qui pouvaient se permettre ou même concevoir le besoin pour un tel instrument. Finalement, c’est par l’intervention d’Eddie Lang, le guitariste le plus influent de l’époque, que le vent commença à tourner en faveur de la L-5. Au début des années 30, le choix de Lang se portant sur le modèle ouvre la voie à d’autres musiciens en vogue, dont Nick Lucas ou Roy Smeck, et offre enfin à Gibson par l’entremise de ces pointures une opportunité inespérée de faire la promotion de leurs guitares, débouchant sur une domination du marché de la guitare archtop qu’ils n’ont jamais perdue depuis. On comprend ainsi aisément pourquoi les L-5 des années 20 ne sont pas légion, et il est certain que peu d’exemplaires seront parvenus jusqu’à nous aussi bien conservés que l’instrument présenté ici.
Cette guitare a été fabriquée vers la fin du mois de janvier 1927, et expédiée en mars de la même année. Elle porte son étiquette originale de style white oval, un signe des temps changeants : durant la période où Lloyd Loar occupait au sein de Gibson un poste à la qualification pour le moins floue (Engineer of Acoustics, sic.), les instruments les plus haut-de-gamme dont la L-5 faisait partie se voyaient octroyer une etiquette portant la mention Master Model, signée de la main de Loar. Après son départ, les etiquettes restantes étaient collées à l’intérieur des instruments jusqu’à écoulement du stock, de façon concommitente avec les étiquettes white oval comme celle que l’on trouve sur cette guitare. En outre, elle présente toutes les caractéristiques typiques d’une L-5 « Master Guitar » de 1927, encore une fois héritées de l’époque de Loar : table sculptée en épicéa, fond, éclisses et manche en érable flammé (les motifs de l’érable sur le fond sont particulièrement remarquables), superbe finition Sunburst « Cremona Brown » – les emprunts à la lutherie italienne sont bien assumés ! On retrouve en plus le logo « The Gibson » et le motif flowerpot incrustés en nacre sur la tête, les mécaniques originales plaquées or gravées de motifs floraux avec des boutons de nacre, le cordier également plaqué or, le chevalet ajustable en ébène, le sillet en nacre… Cette guitare, à trois ans de devenir centenaire, est superbement préservée à ce jour. Nous relevons seulement que le vernis sur le fond, les éclisses et le manche n’est pas original, qu’il a été rechargé sur la table, ainsi qu’un ancien recollage du joint de fond a été effectué. Hormis ces éléments, nous trouvons la guitare exceptionnellement exempte de cassures ou autres défauts. La table de l’instrument est très fine, l’ensemble de sa lutherie légère et maîtrisée, lui prêtant une sonorité d’une beauté sans pareil et une grande volupté. Nous conclurons en citant les mots qui présentent la Gibson Master Guitar L-5 dans le catalogue : Une guitare telle que la Gibson est plus qu’un instrument noble. Elle devient un compagnon… un ami… un façonneur de goût musical… produisant le plaisir intime que l’on trouve uniquement dans la performance personnelle […]. Adopter une guitare Gibson, c’est ouvrir grandes les portes de nouvelles opportunités pour trouver une joie accrue… le plaisir… et le profit également, si vous le souhaitez.
La guitare a été entièrement expertisée, réglée et préparée dans notre atelier, et se trouve dans un état de jeu irréprochable avec une action basse et une intonation juste.
Vendue dans son étui d’origine, accompagné de son certificat d’authenticité réalisé par Jérôme Casanova.